Conférence d’Anicet LE PORS

A découvrir la file d’attente, à l’entrée de l’Espace Culturel de Saint-Renan, ce mardi 27 septembre 2016, on pouvait se douter de l’intérêt suscité par la conférence proposée par l’UTL de l’Iroise.

Le talent connu du conférencier, ancien ministre de la Fonction Publique, conseiller d’État honoraire, promu cette année même au grade prestigieux de commandeur de la Légion d’honneur, et sa notoriété nationale mais encore plus locale ( Lannilis et Plouguerneau, berceaux de sa famille sont tout proches) motivaient à eux seuls cet attrait. S’y ajoutait, cependant, le thème choisi, Le Droit d’Asile, miroir de la citoyenneté, tant l’actualité quotidienne regorgeait d’informations et de questionnements sur le sort des réfugiés, sur les dramatiques images véhiculées par la télévision. Peut-être aussi, remontant d’un passé séculaire, le souvenir, voire la survivance d’une pratique ancestrale, bien ancrée en Bretagne, celle de l’hospitalité, n’était-elle pas étrangère à cette attirance. L’existence de lieux d’asile et de refuge, dans le Finistère particulièrement, est bien révélée par la sémantique des noms de villages où ce droit était exercé, les Minihy (Menec’h ty, maison des moines, monastère). Ainsi, parmi les lieux d’asile recensés grâce aux recherches et études locales, il est attesté l’existence d’un Minihy dans la paroisse de Plouvien, les seigneurs de Kernazret, implantés à Loc Brévalaire, accolant même à leur titre le nom de Du Refuge. A Logonna-Daoulas, un village a conservé le nom de Clemenehy, rémanence d’un asile où n’importe qui pouvait trouver refuge quels que soient les crimes ou délits reprochés.

Après la projection d’extraits d’un film L’Asile de droit, mettant en scène des cas concrets de la procédure difficile et du véritable parcours du combattant que connaissent les immigrants pour se voir reconnaître le statut de réfugiés, Monsieur Anicet LE PORS entamait son exposé par un extrait d’un ouvrage du philosophe Emmanuel KANT, prônant dès 1795, la nécessaire recherche d’une Paix perpétuelle entre les continents, sur le fondement de l’hospitalité, « le droit qu’à un étranger arrivant sur le sol d’un autre de ne pas être traité en ennemi par ce dernier ».

Évoquant plus particulièrement la situation en France, le conférencier rappelait que sur une douzaine de millions de réfugiés dans le monde (la très grande majorité en Afrique et en Asie), les demandeurs d’asile représentent environ dix pour cent. Pour sa part, la France, en 2013, avait accordé un peu plus de 200 000 titres de séjour, dont 11 400 au titre de l’asile.

Un rapide survol historique confirmait que durant le Moyen-Âge, l’Église s’était attribuée le monopole de l’asile, et que le roi François 1er par son Édit de Villers-Cotterêts en 1539 avait mis fin à ce monopole au profit de la monarchie, peu favorable cependant à l’asile. C’est la Révolution française qui va donner à la France la réputation de Terre d’asile, consacrée dans la Constitution de 1793, instituant le droit d’asile « aux étrangers bannis de leur patrie pour cause de liberté ». Le XXème siècle, siècle des réfugiés, procèdera à la mise en place des instruments juridiques permettant l’établissement de conventions internationales, notamment la Convention de Genève adoptée le 28 juillet 1950, ratifiée par la France, qui créera l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), puis la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). Au terme de cette évolution, l’on est passé de la désignation d’un lieu (en Bretagne, par exemple, les Minihy) à la protection de la personne ; d’un droit discrétionnaire du monarque à une protection nationale puis internationale.

Après la Seconde guerre mondiale l’ordonnance du 2 novembre 1945 a fixé le cadre juridique des conditions d’entrée et de séjour en France. L’arrivée de la Gauche au pouvoir en 1981 a conduit à des régularisations de séjour assez importantes, après une régression de l’accueil en raison du ralentissement de l’activité économique. Puis, au niveau européen les Accords de Schengen du 14 juin 1995 ont favorisé une harmonisation des politiques d’asile. Récemment la loi de transposition du 29 juillet 2015 a permis de toiletter les mesures antérieures, pour parvenir à une réduction des délais de procédure, en accroissant les moyens de l’OFPRA et en mettant la CNDA au cœur du dispositif contentieux.

Ces diverses dispositions permettent de distinguer deux concepts, celui de la qualité de réfugié qui correspond à un statut juridique, tandis que l’asile correspond à une situation de fait qui comporte diverses catégories, à titre d’exemples :

l’asile constitutionnel, l’asile au titre de l’unité de famille, la protection temporaire, la protection subsidiaire, les asiles discrétionnaires et de fait …

C’est l’article 1er de la Convention de Genève qui définit la qualité de réfugié, en l’attribuant à toute personne
craignant avec raison d’être persécutée dans son pays d’origine, notamment pour ses opinions politiques, son appartenance à une minorité ethnique, sa confession religieuse ou son appartenance à un groupe social à caractère transgressif (p. ex. homosexualité).

A ces catégories, s’ajoute depuis 2003 la protection subsidiaire pour les personnes victimes de menaces graves contre la vie, de traitements inhumains, de menaces directes en situation de violence généralisée.

Il arrive, toutefois, que l’asile soit refusé par voie d’exclusion lorsqu’il y a de sérieuses raisons de penser que le demandeur s’est rendu coupable de crimes contre la paix, contre l’humanité, d’un crime de guerre ou d’un grave crime de droit commun ; la difficulté étant d’apprécier si ces raisons sont suffisantes. Les cas de fraude ou de changement politique dans le pays d’origine peuvent aussi mettre un terme au titre de séjour de dix ans accordé à un réfugié.

La procédure du droit d’asile comporte une phase administrative, éventuellement suivie d’une phase juridictionnelle en cas de recours contre une décision de rejet.

Sur le plan pécuniaire, le demandeur de droit d’asile bénéficie d’un certain nombre de garanties : un hébergement en centre d’accueil, une allocation temporaire d’attente, une allocation sociale globale, la couverture médicale universelle (ou l’aide médicale d’État s’il est entré irrégulièrement), ainsi que l’aide judiciaire depuis le 1er décembre 2008.

On note que l’évolution jurisprudentielle est de plus en plus restrictive, en raison des préoccupations de contrôle des flux et de sécurisation.

Ces préoccupations accroissent les difficultés des fonctionnaires (dans la phase administrative) comme des juges, tenus de posséder de sérieuses compétences juridiques et géopolitiques, afin de se forger l’intime conviction qui justifiera leur décision, dans l’appréciation des craintes de persécution avancées par le demandeur. Ils se trouvent, parfois, confrontés aux risques de mensonge ou de contradictions susceptibles d’affecter toute demande d’asile. Partant, de fortes disparités apparaissent dans la qualité et la portée des jugements.

En conclusion, le conférencier estime qu’on pourrait qualifier le XXIème siècle « d’avènement du genre humain comme sujet de droit, sur la base du principe d’égalité des femmes et des hommes, citoyennes et citoyens du monde ».

Mais au sortir de la salle, on s’interroge. Au-delà de l’aspect juridique du problème des réfugiés, et de son évolution structurelle plutôt positive, qu’en est-il, deux cents ans après l’essai philosophique d’Emmanuel KANT, de sa chimère d’une marche de l’humanité Vers la paix perpétuelle ? Avec lucidité, n’en mesurait-il pas lui-même les limites :

... « Si notre fin en ce qui concerne sa réalisation, demeure toujours un vœu pieux, nous ne nous trompons certainement pas en admettant la maxime d’y travailler sans relâche, puisqu’elle est un devoir » ?

Jean LE BOT,
Retraité de la Fonction Publique d’État