Quelle fierté ! Savez-vous grâce à qui (et à quoi) "L’invincible Armada" espagnole a guerroyé face aux coriaces Anglais vers l’an de grâce 1588 ? Grâce à des voiles fabriquées au pays de Locronan...
Il s’agit là d’une anecdote parmi tant d’autres fournies par l’historien Louis Élégoet, mardi 16 avril à l’Espace culturel à Saint-Renan. Avec le thème générique : "Le lin de A à Z". En particulier dans le Léon.

Cette industrie constitua la grande richesse de la région : "Au moment de son âge d’or, on fabriquait la bagatelle de 10 000 km de toile par an. Avec des pièces mesurant une aune (1,22 m) de longueur et une demie, deux tiers ou trois quarts d’aune de largeur."
Le XVIIème siècle constitua une période d’expansion dans la zone toilière où la population fut multipliée par deux, avec des exportations vers l’Angleterre et l’Espagne jusque 1680. Avant que Colbert, principal ministre de Louis XIV ne décrète une politique mercantiliste qui eut, notamment entre 1680 et 1788, l’effet néfaste d’une production divisée par quatre.
Cette richesse du Léon (mais pas uniquement puisque le lin intéressait 57 des 83 départements de l’époque), avec l’appui des ports d’exportation comme Morlaix et Landerneau n’était pas équitablement répartie. Ainsi les tanneurs et les marchands de toile constituaient une véritable caste très fortunée _ à l’origine d’ailleurs de bon nombre d’enclos paroissiaux _ alors que les journaliers étaient taillables et corvéables à merci. Avec une rénumération de l’ordre de vingt pour un : "Le capital payait davantage que le travail" Déjà !
On trouve d’ailleurs encore quelques vestiges de "Kanndi" (voir photo), des maisons buandières ici ou là. Quelque 350 "kanndi", proches d’un ruisseau ou d’une source, ont été dénombrées, par exemple, dans les environs de Landerneau et Daoulas (sur 22 communes).

3500 journées de travail pour un hectare !

Au final, le lin était utilisé pour la fabrication, via le tissage, des toiles de ménage, des chemises, des serviettes, des voiles de bateau, etc mais l’huile de lin était aussi très prisée. Et la qualité de ces produits était sévèrement contrôlée par des inspecteurs, souvent venus d’une autre région française (Normandie, Bordelais, Champagne)...
Avant son déclin puis sa disparition dus essentiellement à la révolution industrielle (arrivée du coton, du métier à filer à la place du rouet, etc) provoquant une émigration massive _ création d’une ligne régulière par exemple entre Morlaix et le Havre _ et un siècle d’années noires entre 1850 et 1950 (douze points de retard par rapport à l’ensemble de la France), le lin constitua le "trésor" de toute une région : "Les semis s’effectuaient vers la mi-avril et la récolte de ces belles tiges à fleur bleue, trois mois plus tard." Grâce en particulier à la qualité du sol mais aussi à un énorme travail des journaliers : "3500 journées de travail pour un hectare de plantation."
Avant d’en arriver à un produit fini et après l’avoir récolté à la main, le lin était l’objet de très nombreux soins et phases de travail. Sans rentrer dans le détail de ces multiples opérations, on peut évoquer dans le désordre, le séchage sur le terrain, le peignage pour retirer les graines servant au ré-ensemencement. le rouissage (pourrissement contrôlé des tiges), le broyage, le teillage, l’écangage, le cardage, le blanchissement dans les fameux "kanndi", l’étendage des écheveaux dans le courtil : "On pouvait vendre le lin plus ou moins élaboré à tous les stages de ces travaux. On avait souvent besoin d’argent rapidement !"

Et, après avoir été parfaitement blanchi, le lin devait être trié par fil, roulé en bobine, tissé, etc. Alors que l’huile de lin était utilisée pour la fabrication de l’encre, de la peinture, pour l’éclairage, pour la consommation humaine et animale grâce à sa richesse en oméga 3.
Une kyrielle de travaux souvent fatigants et effectués avec des outils inventés pour l’occasion...
Ainsi le "linum usitatissimum" (nom savant du lin cultivé), avant de disparaître petit à petit, a-t’il fortement pesé dans l’économie de notre région. Tout récemment quelques essais de renaissance ont d’ailleurs été tentés, notamment à Cléder. Mais aussi et surtout dans l’Orne où sont semées des graines venant des pays baltiques !

Michel LE NÉEL

. Le lin continue de faire parler de lui dans la région. A preuve ? Une fête du lin se déroulera à la Roche-Derrien (22) en juillet prochain.


Légende des photos

La fleur de lin avec une superbe teinte bleue.

Un "Kanndi" (en breton de kanna, blanchir et ti maison), une maison buandière où était blanchie la toile. On en a dénombré quelque 350 sur le territoire de Landerneau-Daoulas (sur 22 communes)

Portfolio

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Une fleur de lin
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Dans le Léon, une construction spécifique pour le blanchissement de la toile : des maisons buandières appelées "Kanndi" (de kanna, blanchir et de ti maison)