HORACE de CORNEILLE

ou l’anticipation de l’Histoire par Yves MORAUD Professeur émérite Metteur en scène (C.D.U)

De la guerre qui dans l’Antiquité oppose Albe et Rome, et broie deux familles - les Horace et les Curiace- liées par le sang et par l’amour, et dont Corneille a fait le sujet de sa tragédie en 1640, à la séparation au XXème siècle, par un mur sinistre flanqué de miradors, de l’Allemagne de l’Ouest et de l’Allemagne de l’Est, de la Corée du Sud et de la Corée du Nord, de l’Irlande du Nord et de l’Irlande du Sud, d’Israël et de la Palestine, I’histoire au fond se répète ou bégaie.

C’est dire que, de toutes les tragédies classiques, aucune n’est sans doute plus d’actualité qu’Horace de Corneille, qui, alternant les moments de détente et les moments d’angoisse, met l’accent sur les enjeux fondamentaux que vont devoir affronter les hommes et les femmes obligés de se déterminer entre des exigences contradictoires : choix extrêmement cruel, car ces exigences amoureuses ou patriotiques qui s’imposent à ces jeunes gens aspirant à la paix, au partage et au bonheur sont de l’ordre de l’absolu hors duquel il n’est point de salut.

Qu’ Horace, par son courage, son intransigeance et sans doute aussi son orgueil triomphe pour le compte de Rome, que Curiace accepte non sans douleur ni résignation de se battre pour Albe, que Sabine ne surmonte ses contradictions qu’en souhaitant sa propre mort, que Camille trouve dans l’incandescence de sa passion pour Curiace toutes les raisons de défier Horace et Rome, et finalement de mourir heureuse, cela signifie que c’est à chacun de se fabriquer, en toute liberté, mais en courant tous les risques, son destin.

Cette tragédie, au fond, qui anticipe sur l’histoire la plus récente, nous fait assister, en jouant sur le pathétique des situations et des comportements, en variant et en exaltant nos propres émotions, à la naissance de l’homme aux prises avec sa profonde solitude.

Et plus encore de la femme - qu’elle soit mariée (Sabine) ou jeune fille amoureuse (Camille) - investie d’un pouvoir de parole et d’une capacité à agir, à se révolter, qu’elle n’a à envier à aucune femme d’aujourd’hui, et qui, sans rien lui faire perdre de sa féminité, lui permettent de déterminer son identité en allant jusqu’au bout de sa propre exigence.